L'entreprise comme commun, en finir avec la RSE
Les auteurs :
Swann Bommier achève un post-doctorat au sein du programme Codev à l'Essec, après avoir écrit une thèse en sociologie politique à Sciences Po sur l'implantation de Michelin au Tamil Nadu et sur les enjeux relatifs aux nouvelles enceintes de droit (mou et dur) international.
Cécile Renouard est professeure de philosophie au Centre Sèvres-Facultés jésuites de Paris, directrice du programme de recherches CODEV – entreprises et développement à l'ESSEC. Elle enseigne à l'ESSEC, à l'Ecole des Mines de Paris et à Sciences Po. Elle est auteure de plusieurs ouvrages dont 20 Propositions pour réformer le capitalisme (co-dirigé avec Gaël Giraud, Champs-Flammarion, 2012), Ethique et entreprise (Atelier, 2015).
Résumé de l’ouvrage :
Céline Renouard et Swann Bommier proposent des pistes pour la mise en place d’un modèle d’entreprise comprise comme un commun, au-delà de la responsabilité sociale et environnementale (RSE).
Leur réflexion embrasse la notion de commun à articuler avec la notion de RSE qui a trois sens distincts. Ils se demandent comment les entreprises se sont engagées dans des projets économiques respectueux de l’environnement et de l’éthique.
L’approche par les communs s’est développée depuis 30 ans et a été consacrée il y a dix ans avec la remise du prix Nobel de l’économie à la politologue Eleonor Oström. Cette notion est proche de la notion de biens communs mondiaux, ce à quoi nous avons tous droit d’avoir accès.
La notion de commun implique l’administration en commun de biens et de ressources. Comment s’organiser pour gérer des biens ensemble ? L’entreprise est au service de la pérennité des biens communs mondiaux. Elle se doit de respecter les objectifs du développement durable (ODD) qui ont un lien avec la notion de bien commun qui nous oriente collectivement vers le mieux vivre ensemble avec la mobilisation de ressources au service du lien social et écologique.
La réflexion part du constat que la RSE a plusieurs sens depuis les années 70 : une conception philanthropique reposant sur la maximisation du profit en respectant les lois locales ; une conception managériale qui émerge dans les années 1980 avec une vision de gestion du risque et de réponse à la critique.
Dans les années 2000, ces deux conceptions ne permettent pas de répondre aux scandales sociaux et environnementaux. Dès lors la notion de RSE est redéfinie comme gestion des impacts. Cette définition est consacrée par plusieurs textes internationaux comme les principes directeurs de l’ONU sur les droits sociaux et humaines, principes directeurs sur la responsabilité internationale de l’entreprise (principes Ruggie). L’enjeu est la gestion sur la chaine de valeur des droits sociaux et environnementaux, des impacts environnementaux et sociaux.
Enfin, la RSE peut également inclure une perspective citoyenne. Dans ce sens, la responsabilité de l’entreprise est une mission en lien avec l’imputation de ses impacts sur la société (définition proposée par la Commission européenne en 2011).
4 types de responsabilités sont à relever : la responsabilité économique et financière, la responsabilité sociale, sociétale et environnementale, et politique. La question qui se pose est la suivante : comment l’entreprise se met au service du bien commun qui dépasse son intérêt ?
Une entreprise responsable s’inscrit dans différents cadres conceptuels et normatifs : la première de ses responsabilités est de se demander si son cœur de métier répond à un meilleur bien vivre et de s’interroger sur la mission de l’entreprise et ses critères d’investissement. Est-il bon d’investir dans les énergies fossiles ? Quel est le coût social et environnemental des externalités négatives ?
L’entreprise a également une responsabilité économique et financière et doit se demander comment répartir la valeur, ce qui pose la question de la fiscalité et de la politique salariale : quelle répartition au sein de l’entreprise et dans la chaine de sous-traitants ? L’éclatement des chaines de valeurs avec des interrogations sur le dialogue social pose la question de la responsabilité des maisons mères comme en témoigne la loi sur le devoir de vigilance : les entreprises sont redevables de leurs impacts sur les communautés. On s’achemine vers la création de nouvelles responsabilités comme le montre le traité de l’Onu sur les entreprises multinationales et les droits humains en cours de négociation.
La maîtrise de ses impacts suppose que l’entreprise soit définie comme un commun par la démocratisation de sa gouvernance et par sa capacité à préserver des biens communs mondiaux immatériels (lien social, souveraineté populaire) et matériels (climat, biodiversité).
L’entreprise est un commun définissant son activité au vu des attentes de parties prenantes variées au delà de la gestion du risque, qui s’interroge sur la façon, dont un plancher social et environnemental lui est imposé. L’entreprise doit agir dans un cadre légal imposé sur des enjeux de lobbying, qui met le processus democratique en jeu, l’investissement de l’Etat et la corruption.
L’action de l’entreprise doit s’inscrire dans une démarche éthique comprise comme un aiguillon permettant de caractériser les tensions traversant toute société humaine. Selon P. Ricoeur, la démarche éthique est la recherche de la vie bonne avec et pour autrui dans des institutions justes, ce qui correspond au « bien vivir » en Amérique latine.
Les grand biens communs globaux (climat, biodiversité, gestion des ressources naturelles) cadrent l’activité de l’entreprise. La protection des biens communs matériels et immatériels est garante de l’émancipation de chacun.
Commentaires :
Si le débat académique sur les communs est très dynamique depuis quelques années, il reste encore du chemin à parcourir pour que la notion de commun structure notre compréhension de l’entreprise.
Le programme de développement de l’entreprise comme commun proposé par les auteurs est ambitieux. Les débats récents sur la loi Pacte montre les difficultés pour imposer la notion d’entreprise comme commun. Cette loi était censée redéfinir le capitalisme et la définition de l’entreprise comme « société commerciale ». Les pouvoirs publics n’ont pas souhaité remettre en cause la quête du profit comme seul horizon de l’entreprise. Néanmoins, les entreprises doivent prendre en compte les enjeux sociaux et environnementaux, les conséquences sociales et environnementales de leurs activités tout au long de la chaine de valeur. L’enjeu est de mettre le code civil en résonnance avec la gestion des impacts. Le rapport Senard-Notat a proposé d’introduire la notion d’intérêt propre à l’article 1833 du code civil. Mais la notion d’intérêt social a été retenue. Pour les pouvoirs publics, l’intérêt social de la société doit primer sur les intérêts sociaux et environnementaux.
Il reste que penser l’entreprise, non plus seulement comme partie prenante de la gestion du commun, mais directement comme commun répond aussi au souci de valoriser sur le plan, social, éthique et environnemental son objet et sa mission, pour en faire un acteur pleinement engagé dans la protection de notre « maison commune » à laquelle appelle le pape François dans l’encyclique « Laudato si. » Cette approche est donc digne d’intérêt et gagnerait à être connue par les plus grand nombre pour être intégrée dans la pratique des entreprises.