le tympan de l'abbaye de Conques (Louvre 2010)
Marcello Angheben, maître de conférence à l’université de Poitiers, offre une lecture innovante du tympan de l’abbaye de Sainte-Foye de Conques…
Le jugement dernier, thème central dans le dogme et l’iconographie chrétiens se développe à l’échelle monumentale au IXème et Xème siècles s’inspirant de la tradition byzantine.
On France on compte quelques portails illustrant ce thème à Macon, Autun, Beaulieu et Conques (avec ses 128 personnages).
Pour comprendre le tympan de Conques, il faut le replacer dans son contexte. Conques s’inscrit dans le monde artistique et culturel de Toulouse, Moissac et Beaulieu. Conques est un lieu de passage des pèlerins vers Compostelle, marqué par le culte de sainte Foye (Livre des miracles de Sainte-Foye).
Le portail de Conques présente 3 registres séparés par des bandeaux avec inscriptions. La lecture du tympan est peu aisée. Le sens de la lecture détermine l’interprétation de l’œuvre.
On peut faire du tympan la lecture suivante. Le Christ est entouré des anges à la fin des temps. A gauche se trouve l’enfer, à droite, les élus. Sous le Christ se développe le thème de la balance avec la séparation des damnés poussés par des démons en enfer et des élus poussés vers un lieu paradisiaque.
Marcello Angheben propose une lecture en deux temps en un mouvement ascensionnel car les portails narratifs se lisent de bas en haut : d’abord le jugement particulier ou immédiat, puis au dessus du bandeau de séparation, la fin des temps. Le codex aureus eptorecensis illustre le thème du jugement immédiat. Dans l’évangile de Saint-Luc, la parabole de Lazare et du mauvais riche montre comment des anges s’emparent de l’âme de Lazare au moment où elle s’échappe de son corps et la pousse vers un lieu paradisiaque, le sein d’Abraham. L’âme du mauvais riche est emportée par les démons en Enfer, lieu de tortures. L’histoire de Lazare est relayée par l’iconographie et la liturgie. La destinée de Lazare est celle de tous les hommes. Jérôme Bosch développe ce thème dans l’avare et la mort. Il existe une série importante de représentations montrant le destin des âmes après la mort comme à Saint-Pierre de Spolète (scène de la mort du juste et de celle du pêcheur).
A un second niveau, le tympan représente le jugement dernier. Ceci est à rapprocher du tétraevangile de Stoudios qui offre la plus célèbre représentation du jugement dernier du monde byzantin. Les jugements derniers français ne sont pas influencés par Byzance, mais ils sont pareillement découpés en deux thématiques superposées.
Le premier jugement autour de la balance est marqué par l’entrée violente dans l’enfer des damnés poussés par les démons. En bas sur la gauche, un cavalier renversé, le seigneur Rainon, figure de l’orgueil tombant de cheval est entraîné vers Orchus, la gueule de l’enfer. C’est de cette manière que le pêché d’orgueil est châtié. D’autres pêchés sont également représentés : la luxure, l’avarice, l’usure, la gourmandise, la colère.
Les élus sont conduits par des anges au paradis définitif (après la résurrection dans la mort). La rencontre avec Dieu ne se fait pas dans ce paradis. On note l’intercession de sainte Foye dans un détail marginal, s’agenouillant devant la main de dieu (écho à la proschynèse, prosternation dans le monde byzantin) au moment de la messe. La présence d’un calice renvoie à l’eucharistie financée par les pèlerins. Son intercession est demandée dans le cadre du premier jugement. Elle intervient pour libérer ses protégés des flammes de l’enfer.
Le jugement dernier a un caractère théophénique. La mort annonce le retour du Christ. Les anges soufflent dans leur trompette pour la résurrection des morts. Les morts se lèvent. Des anges assistent les réssucités qui sont des élus. Ils ne seront pas jugés. Ce thème est également illustré par la châsse de Saint-Gervais de Maastricht.
L’instrument du jugement est le Livre de vie et non la balance. Selon l’Apocalypse, ceux qui ne sont pas inscrits dans le livre de vie vont en Enfer. « Venez les élus,… allez-vous en vers le feu éternel » (Mat. XXV). Les damnés sont repoussés par des anges guerriers en enfer: « les anges sortent pour séparer les méchants d’avec les justes » (Mat. 13, 49). L’enfer donne à voir des corps de métiers tandis que les élus se dirigent vers le Christ et s’élèvent vers le ciel, plongeant dans une nuée d’ondulations.
Le tympan montre que les moines de Conques peuvent intervenir avant le jugement dernier (monopole de suffrages). Les vivants préparent leur avenir en faisant des donations à l’abbaye pour le salut de leur âme.